Tout le monde met la main à la pâte
Vous étiez à Lviv à la mi-avril. Quelles sont vos impressions ?
Déjà lors du voyage en train vers Lviv, j’ai assisté à des scènes très impressionnantes. En chemin, nous avons croisé des personnes fuyant l’Ukraine en train. À Przemysl, un groupe d’enfants handicapés attendait à la gare de poursuivre son voyage. Il a fallu des heures pour que tout le monde soit dans le bon train, notamment parce que le nombre de personnes en fuite est si important que la gare est surchargée. C’était comme être ramené à une dure réalité : en l’espace de quelques secondes, j’ai pris conscience de ce que la guerre signifie pour les personnes concernées et de l’ampleur du bouleversement.
Ce que l’on ressent immédiatement en arrivant à Lviv, c’est l’ambivalence de l’état d’esprit. Les gens sont terrorisés par la guerre et son ampleur, mais ils sont aussi pleins d’énergie. Tout le monde veut apporter sa contribution, tout le monde met la main à la pâte. Les gens essaient de ne pas se figer et de conserver un minimum de normalité dans tout ce chaos. Ils font de leur mieux pour continuer à avancer d’une manière ou d’une autre malgré toute la misère. Cela me donne de l’espoir.
Pendant la période de Pâques, Lviv a subi des attaques aériennes directes. Qu’est-ce que cela a changé ?
Elles constituent une nouvelle escalade. Pour la première fois, des voies ferrées et d'autres infrastructures stratégiques ont été attaquées à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine. Notre travail se poursuit cependant sans changement.
Comment Caritas Ukraine parvient-elle à poursuivre ses activités dans les zones de combat ?
Caritas poursuit son travail en Ukraine. Certains centres Caritas sont également actifs dans les zones de conflit à l’est et au sud du pays. Mi-mars, un centre Caritas a été bombardé dans la ville assiégée de Marioupol. Deux de mes collègues de Caritas Ukraine et cinq membres de leur famille y ont perdu la vie. Cela nous a toutes et tous profondément ébranlés. Certains collaborateurs ont depuis été évacués vers la ville voisine de Zaporizhzhia, où ils continuent à travailler avec beaucoup d’engagement et à accueillir les réfugiés de Marioupol. Certains de mes collègues évacuent leurs familles vers l’étranger, mais restent eux-mêmes sur place pour continuer leur travail pour Caritas.
Caritas avait déjà une très forte présence dans l’est de l’Ukraine. Grâce à son travail de longue haleine sur place, l’organisation dispose d’une connaissance approfondie de la région et a noué des contacts avec les personnes qui vivaient déjà dans la pauvreté avant la guerre. Les Caritas locales travaillent par exemple avec des personnes de confiance et des équipes mobiles, ce qui leur permet de recueillir et de vérifier de manière fiable les besoins de la population. Cela garantit un soutien aux plus démunis dans la situation de guerre actuelle.
Comment le ravitaillement en biens d’urgence est-il assuré ?
Dans la mesure du possible, nous assurons l’approvisionnement des personnes dans le besoin via les marchés locaux en Ukraine. Le transport de biens humanitaires reste en principe possible par la route et le rail. Là où les marchés locaux ne peuvent pas couvrir les besoins, ou pas assez rapidement, Caritas fournit une aide d’urgence depuis la Pologne. Les marchandises sont traitées et reconditionnées dans l’ouest de l’Ukraine à partir d’entrepôts situés en Pologne, puis acheminées vers les régions qui en ont le plus besoin. Les besoins sont coordonnés par le réseau Caritas. Le travail logistique est immense. J’ai visité un entrepôt de Caritas à Lviv. C’est de là que partaient les camions les uns après les autres pour livrer les paquets d’aide humanitaire dans tout le pays. Les collaborateurs et les bénévoles travaillent sans relâche pour reconditionner les biens de secours, charger les camions, décharger les cargaisons qui arrivent.
Vous êtes responsable de l’Ukraine, mais aussi des pays voisins. Quelles sont les perspectives à court et à plus long terme ?
Actuellement, Caritas Suisse apporte une aide d’urgence aux personnes qui ont fui leur pays en Pologne, en Roumanie et en Moldavie. En principe, les réfugiés d’Ukraine y sont enregistrés et ont accès au système social. La mise en place d’un tel système dans un délai raisonnable constitue toutefois un défi de taille pour les pays, au regard du grand nombre de personnes réfugiées. C’est là que Caritas intervient : nous soutenons les arrivants pendant cette première période, et nous proposons une aide à long terme là où les offres de l’État ne sont pas efficaces.
Cela signifie par exemple qu’en plus des possibilités d’hébergement à court terme et des repas chauds, Caritas aide à trouver des familles d’accueil en Pologne et met à disposition des logements à plus long terme. Les enfants des orphelinats évacués en Ukraine y sont par exemple hébergés.
Pour Caritas Suisse, vous avez été responsable de l’aide humanitaire dans le conflit syrien. Pouvez-vous exploiter votre expérience de cette période dans l’aide d’urgence en Ukraine ?
Bien sûr ! En Ukraine, des personnes ont perdu leur maison en très peu de temps à cause de la guerre. Elles ont dû quitter précipitamment leurs maisons, des familles ont été brusquement séparées. Les gens sont sous le choc. J’ai également vu des situations de ce genre en Syrie. Il s’agit de se focaliser pendant les premiers mois sur la nécessité de remplir les besoins les plus élémentaires des personnes concernées. Dans le conflit syrien, l’aide en espèces a notamment fait ses preuves en permettant aux personnes de subvenir dignement à leurs besoins tout en soutenant l’économie locale. Nous complétons cette approche en proposant des activités d’aide psychosociale. Nous mettons en place, par exemple, des ateliers dans lesquels on enseigne des stratégies positives pour surmonter les traumatismes et gérer les peurs. C’est à peu près la même approche en Ukraine.
Écrit par Lucia Messer
Photo de couverture: Lukáš Voborský, directeur national pour l'Ukraine chez Caritas Suisse. © Alexandra Wey