Un accord malgré des déportations mortelles dans le désert
Alors qu'en Tunisie, les migrantes et les migrants subissent une pression toujours plus forte et sont abandonnés dans le désert, l'Union européenne (UE) et la Tunisie renforcent leur coopération en matière de migration. Cela coûte beaucoup d'argent à l'UE et on peut se demander quel rôle jouent encore les droits de l'homme dans ce contexte. La Suisse a également sa part de responsabilité.
Ces dernières semaines, divers médias et organisations non gouvernementales ont fait état du traitement inhumain des personnes issues de la migration en Tunisie. Après les violentes attaques perpétrées contre des migrants d’Afrique subsaharienne au printemps, de plus en plus de photos et de détails sur les déportations ont été rendus publics. Sur ordre des autorités, des bus remplis de personnes migrantes sont partis de la côte tunisienne pour la frontière libyenne. Elles ont été abandonnées en plein désert, par 50°C, sans équipement, avec à peine un peu d'eau et de nourriture. Et parmi elles, des femmes et des enfants. Des décès sont survenus.
La violence et les agressions ont surpris dans un premier temps. La part des personnes issues de la migration dans les villes côtières tunisiennes est élevée depuis des années ; beaucoup vivaient et travaillaient dans la région. La grave crise économique en Tunisie a toutefois changé la donne. Le fait qu'en temps de crise, les migrantes et les migrants soient désignés comme boucs émissaires et rendus responsables de la situation n'est malheureusement pas nouveau. Le président Kais Saied en personne a mis de l’huile sur le feu en accusant les migrants d’amener dans leur sillage la violence et la criminalité, allant jusqu'à soupçonner un complot.
L’offensive de charme de l’Europe en matière de politique migratoire
Il est donc d'autant plus surprenant que l'Europe approfondisse désormais sa coopération en matière de migration avec ce même dirigeant. Cela s'explique d'une part par le fait que la Tunisie est devenue ces dernières années un pays de transit toujours plus fréquenté sur la route de l'Europe. En 2023, le nombre de personnes ayant fui la Tunisie pour l'Italie a dépassé pour la première fois celui des personnes ayant quitté la Libye.
D'autre part, le grand projet de politique migratoire européenne, le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, vient de franchir un obstacle majeur. Tandis que des divergences subsistent encore sur des sujets comme la répartition des réfugiés au sein de l'Europe, le consensus règne sur une préoccupation majeure: prévenir la migration irrégulière. Cela doit passer par la sécurisation des frontières extérieures, la dissuasion et une meilleure coopération avec les États tiers dits sûrs. Les personnes concernées ne doivent pas seulement être retenues, les demandeurs d'asile déboutés doivent aussi pouvoir être renvoyés dans ces États tiers sûrs.
Le fait que l'UE ait conclu un accord migratoire avec la Tunisie doit donc être compris dans le contexte des négociations au sein de l'UE. Mais que cet accord ait été signé après le discours incendiaire du président tunisien, après les émeutes contre les personnes issues de la migration dans les villes tunisiennes et parallèlement aux décès choquants survenus après des déportations dans le désert, doit faire réfléchir. On peut se demander jusqu'où l'UE est prête à aller dans sa volonté de repousser les migrantes et les migrants et où elle trace des lignes rouges — précisément lorsqu'elle emploie des termes pleins de promesses mais dangereux comme ceux d'«États tiers sûrs».
Tirer parti des potentialités du partenariat migratoire avec la Suisse
Membre de l'espace Schengen, la Suisse participe également à la politique migratoire européenne. La Tunisie est par ailleurs depuis longtemps un pays prioritaire de la politique extérieure de la Suisse dans le domaine de la migration. Depuis 2012, les deux pays entretiennent un partenariat migratoire.
De tels partenariats sont régulièrement salués pour leur large portée et pour le fait que les échanges et le choix des thèmes se font sur un pied d'égalité. Toutefois, la Suisse a également conclu ce partenariat pour des raisons de politique intérieure: le partenariat en matière de migration devrait faciliter le rapatriement des requérants d'asile tunisiens déboutés.
Il est temps de montrer qu'un tel partenariat migratoire peut aussi avoir des répercussions au-delà des renvois et des aides financières. La Suisse doit utiliser toutes les voies possibles pour s'engager, dans le cadre de son étroit partenariat, en faveur d'une urgente amélioration de la protection des personnes migrantes en Tunisie.
Écrit par Michael Egli, responsable du service Politique migratoire de Caritas Suisse
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Photo de couverture: Image symbolique d'un migrant dans un bus. © Lefteris Partsalis/Caritas Suisse